Tristana

Au moins, il ne fait pas froid.
Tristana plissa les lèvres en un sourire ironique et bougea légèrement pour soulager la tension de ses muscles. Rester immobile dans l’encoignure d’une porte, à l’affut, s’avérait bien plus pénible qu’on aurait pu le croire.

Elle en met, du temps.

Mais Valda devait agir avec prudence, si elle ne voulait pas donner l’alerte pendant qu’elle se livrait à sa « visite » de la maison. Le vieux Marizzoli n’avait jamais été un combattant, malgré son titre de chevalier, mais il avait des domestiques et surtout, deux solides gardes du corps. Tristana avait discrètement observé ces derniers lorsqu’ils accompagnaient leur maître dans les rues d’Adranto. Elle savait que si Valda se loupait, il lui faudrait intervenir. Et si la jeune femme avait appris pas mal de choses sur l’art du combat durant sa courte carrière de mercenaire, elle en savait assez pour estimer ses chances en cas d’affrontement.

A tout prendre, je préfère encore rester plantée là que de devoir danser avec ces types. Surtout les deux à la fois.
La maison de Marizzoli était plongée dans le noir et Tristana se prit encore une fois à imaginer la lente progression de la cambrioleuse, avançant pas à pas dans l’obscurité presque complète. Un bibelot au mauvais endroit, un plancher grinçant, un tapis traitreusement posé sur le sol… les possibilités que tout tourne mal ne manquaient pas. Plus la guerrière y songeait et plus elle sentait l’inquiétude s’installer, ajoutant son poids à l’inconfort et l’attente. Elle devait se concentrer sur autre chose et arrêter de nourrir sa peur, mais elle ne pouvait empêcher son esprit de revenir encore et encore sur ces pensées obsédantes.

Un léger mouvement à l’étage, près de la fenêtre entrouverte. Tristana se retint à grand-peine de pousser un soupir de soulagement. La silhouette de son amie se glissa le long du mur avant de se blottir brièvement dans les ombres près du sol. Puis, en quelques instants, Valda la rejoignit et sans un mot, les deux femmes s’enfoncèrent dans la ruelle proche. C’était idiot, mais une fois le coin passé, Tristana se sentit beaucoup plus légère.
Elles marchèrent quelques pas jusqu’à une torchère proche et elle se tourna vers la cambrioleuse.
 « Alors ? »
Valda haussa les épaules et lui adressa un sourire amusé.
 « Aucun problème. J’ai les papiers et personne n’a bronché. »

La cambrioleuse s’étira un bref instant, nonchalante, avant de reprendre sa marche, l’air assuré.

Tristana fronça les sourcils, consciente que son amie la
taquinait et en rajoutait en crânant. Valda savait que la guerrière était du genre à gamberger, mais parfois, elle en profitait un peu trop au goùt de Tristana.

Enfin, cette fois tout s’est bien passé, au moins. Ventrinio sera content.

Elle se détendit en expirant doucement et sa main s’éloigna enfin du glaive qu’elle n’avait pas quitté jusqu’alors. Son cousin les attendait au Dauphin d’argent, avec quelque chose de chaud à manger. Il était encore assez tôt et leurs amis seraient peut-être encore là.  La taverne de Ventrinio leur servait de quartier général quand elle n’était pas ouverte à la clientèle et ils pourraient peut-être discuter un moment et même boire un coup avant que tout le
monde aille dormir. Mais même si son cousin était seul à les attendre, Tristana serait satisfaite de pouvoir enfin passer à autre chose.

Comme je déteste faire le guet dans l’attente que ça tourne mal.

Heureusement, Valda était bien plus prudente que son attitude le laissait croire. Adranto n’était pas une ville si grande qu’on puisse se permettre le luxe d’y entretenir une réputation. Pas sans
conséquences, en tous cas. Valda était née dans ces rues et elle n’aimait pas prendre de risques. Les occasions de croiser le fer ou de casser quelques dents n’avaient pas été si nombreuses que ça, mais Tristana se laissait encore prendre au jeu de son amie.
La cambrioleuse se retourna vers elle et tapa du pied sur le sol. Tristana se reprit et lui lança un bref sourire embarrassé en retour. Toutes deux reprirent leur marche. L’oreille à l’affut d’une patrouille de licteurs. Encore quelques minutes, et elles seraient en sécurité, au chaud.
Dans l’obscurité, Tristana fronça les sourcils et se redressa légèrement.

Ne relâche pas ton attention, ma vieille.

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