Archives mensuelles : juillet 2014

Aloysius

Pendant la Guerre Civile qui divisa l’Empire, Aloysius D’Ambrosia fut exilé à Vallombrosa par son frère, l’Empereur Valerius IV, en raison de ses positions trop conciliantes. Mais il y a dix ans, le prince fut rappelé d’exil lorsque son ainé se donna la mort. Couronné Empereur de Celalta, Aloysius signa l’armistice qui entérina la naissance de la Ligue et amputa l’Empire de ses provinces nordiques. Pour la cour et les membres du Sénat impérial, l’Empereur reste un homme énigmatique et difficile à cerner, que d’aucuns jugent même indécis. Certaines de ses décisions ont d’ailleurs causé bien des controverses. Notamment, à peine monté sur le trône, il fit enfermer sa belle-sœur Beatrix, déclarant qu’elle avait fait assassiner son épouse et leurs enfants pendant leur exil. Mais aucune accusation officielle ne fut lancée contre la veuve de Valerius IV, qui reste enfermée dans une villa loin de la capitale. Les enfants de Beatrix et Valerius, le prince Raffaele et la princesse Leto, sont demeurés auprès de l’Empereur, qui prépare son neveu à lui succéder en tant que souverain de Celalta.

Illustration : Akae

Coralie David

Coralie David travaille sur une thèse de littérature
comparée, dont la thématique concerne le jeu de rôles, dans ses rapports à la fiction et à la culture populaire. Elle a
contacté plusieurs dizaines d’acteurs du milieu, afin de leur poser des
questions d’ordre général, ou plus spécifiques à leurs parcours respectifs. Son
intention est également de rendre public le résultat de ses travaux par la
suite : la thèse et la somme des entretiens réalisés.
En temps utile, je partagerais bien évidemment les
informations qu’elle fournira sur l’avancée de ses travaux.
Incidemment, j’ai été sollicité par Coralie afin de répondre
à quelques questions et voici le résultat, pour ceux que cela pourrait
intéresser. 
Entretien avec Aldo
Pappacoda
 :
Comment
définiriez-vous votre métier ou votre activité dans le JdR ?
A la base c’est un loisir qui a
évolué vers quelque chose de plus dense. Je reste meneur et joueur, mais je
suis désormais également auteur. Comme je travaille et cogite quotidiennement
sur plusieurs projets en termes d’écriture ou de concepts, j’ai une activité de
création régulière depuis une quinzaine d’années, qui donne lieu depuis 2008 à
quelques publications commercialisées. Mon activité a indéniablement un aspect
professionnel, puisqu’elle me permet d’obtenir chaque année de l’argent sous
forme de droits d’auteur. Dans le même temps, j’écris beaucoup juste pour
moi-même, ou de manière bénévole (des scénarios de convention par exemple, ou
Sunda Mizu Mura qui est un supplément L5A d’origine associative, sans finalité
de rémunération). L’aspect professionnel est donc juste une facette d’une
activité plus vaste.

Qu’est-ce qui vous a
motivé à co-écrire Les Ombres d’Esteren
? Un thème, un genre, une commande d’éditeur ? Quels étaient vos objectifs
lorsque vous avez créé ce JdR ?


A l’origine, je ne faisais pas partie
des auteurs d’Esteren. J’ai rejoint l’équipe en tant que relecteur du livre de
base, mais il s’est avéré qu’un certain nombre de remaniements étaient
nécessaires sur les textes existants, et que d’autres n’avaient pas encore été
réalisés. J’ai donc été recruté pour remanier et compléter cet ouvrage. Ma
motivation initiale était surtout le challenge de parvenir à fournir un travail
de qualité dans un univers qui me plaisait et qui avait déjà été développé par
d’autres personnes, mais qui demeurait incomplet. Ensuite, j’ai travaillé sur la
gamme jusqu’à fin 2012, mais davantage en tant qu’auteur à part entière. Fondamentalement,
je ne suis donc pas un des créateurs d’Esteren, dont les idées originales sont
celles des fondateurs du collectif Forgesonges. Moi, je suis juste le gars qui
a fait en sorte de les aider à rendre ça consistant et lisible. 

Lorsque vous écrivez
un JdR ou participez à un supplément pour une gamme déjà existante, qu’est-ce
qui vous inspire en premier lieu ? Le système ? L’univers ? Le
type de personnages que les joueurs interpréteront, les scénarios potentiels,
ou est-ce toujours différent ? Un mélange de ces éléments ?


Essentiellement l’univers et le type
de personnages proposés. Les scénarios potentiels découlent de ces deux
aspects, donc j’aurais du mal à les considérer comme un élément moteur, en
premier lieu tout au moins. Par la suite, cela évolue par contre. Le système
n’est pas une priorité, j’ai déjà joué pendant des années et même écrit en
amateur sur des gammes existantes (comme Shadowrun par exemple) sans jamais
employer le système de règles officiel.

Comment
définissez-vous un système de JdR ? Quel est son rôle ?


A mon sens, il sert avant tout à
mettre les participants d’accord sur les résultats d’une action dont la
réussite n’est pas automatique, sans qu’ils aient besoin de discuter longtemps
pour le décider par eux-mêmes. Quand j’étais gamin, je jouais aux cowboys et
aux indiens et « pan, tu es mort » ne faisait pas toujours l’unanimité
entre nous. Le système permet de résoudre ce genre de situation assez
rapidement. Parce que dans l’esprit des participants, comme il découle à la fois
de règles qui ne visent pas à favoriser des individus en particulier et qu’il
repose aussi par le biais des dés sur une part de hasard, il est
« neutre » et donc impartial. Les seuls points noirs qui peuvent
affecter un système à mon sens sont les suivants : il ralentit trop le
déroulement du jeu ou il ne correspond pas aux possibilités offertes aux
joueurs. Par exemple, un système qui se veut sobre et « gritty » n’est
pas adapté à un jeu épique. De même qu’un système simulationniste très détaillé
va mal avec une ambiance survoltée digne d’un grand film d’action échevelé.  

Comment
définissez-vous le roleplay ?


Bêtement, ça commence  par cesser de jouer par le biais de phrases
comme « mon personnage lui dit que ». Employer ses propres mots à la
place, c’est interpréter son personnage. Ensuite, ne pas mélanger ce que le
joueur sait et ce que le personnage sait. De fait, je définis donc en premier
lieu le roleplay « en creux » en disant plutôt ce que ça n’est pas à
mes yeux. Pour le reste, il y a des gens qui sont assez minimalistes dans leur
interprétation, d’autres qui aiment agrémenter leur jeu de gestes et mêmes de
déplacements dans la pièce… pour moi, c’est presque secondaire. Je dirais in
fine qu’un joueur joue son personnage, donc fait du roleplay, à partir du
moment où le personnage parle avec ses propres mots, agit par rapport aux
croyances ou aux convictions qu’il est censé avoir et ne profite pas
d’informations hors-jeu ou de connaissances propres au joueur pour prendre des
décisions. Le reste, c’est du relief, du style, de la richesse ou même du
spectacle, mais la substance est là.

À votre avis, que
permet de créer le JdR en termes de fiction, qui n’est pas possible dans
d’autres médias ?


Je pense que le jdr permet aux
participants de lâcher prise sur le déroulement de l’histoire telle qu’elle a
été envisagée au préalable. La décision d’un joueur à un moment donné, le
résultat d’une discussion entre participants ou un jet de dé raté/réussi à un
moment particulièrement important peuvent radicalement changer le déroulement
d’une séance de jeu, ou d’une trame dans son ensemble. C’est donc à mon sens à
l’heure actuelle le seul média qui de manière explicite offre la possibilité à
l’histoire de suivre un cours qui n’est pas toujours lié aux attentes du
scénariste (le meneur de jeu) ou même des acteurs (les joueurs et leurs
personnages). Pour moi le jeu de rôles offre la possibilité à l’histoire
proposée d’évoluer au fil de l’eau, voire de manière imprévue, si tant est que
le meneur ne s’acharne pas à ramener les autres participants à ce qu’il veut
faire. Certains jeux exploitent franchement cette possibilité en proposant une
maîtrise partagée ou tournante, mais à la base, le postulat est déjà là dans
tous les jeux de rôle.

Pour vous, quel est
le ou les JdR le plus « réussi(s) », dans le fond, la forme,
pourquoi ?


Paradoxalement, alors que j’ai
beaucoup joué et joue encore sur des gammes plutôt prolifiques (Shadowrun, L5A,
Dark Heresy par exemple), j’ai une affinité profonde avec le principe de la
gamme réduite. Après quelques temps passer à cogiter ce genre de problématique,
j’en suis récemment arrivé à la conclusion personnelle suivante : un jeu est
« réussi » si avec un seul ouvrage, le meneur est déjà autonome et
peut créer ses propres histoires, ses propres enjeux. S’il peut trouver
références et inspirations en quantité suffisantes pour pouvoir se lancer, en fait.
Les ouvrages ultérieurs sont utiles pour compléter, enrichir, explorer,
proposer, mais si un livre de base n’offre pas vraiment la possibilité au meneur
de se débrouiller par ses propres moyens, je considère ça comme un point
négatif. Le reste, par exemple est ce que le concept directeur est original ou
pas, je pense que c’est secondaire et relève plus du « comment » que du
« quoi » finalement, en dépit des apparences. On peut avoir des univers
ou des parti-pris audacieux, mais qui se révèlent bancals, ou inutilisables,
tout comme revisiter les archétypes les plus connus en leur donnant quelques
couleurs nouvelles peut s’avérer très surprenant.

Quels sont vos
systèmes de jeu préférés, pourquoi ?


J’aime bien les systèmes qui
n’obligent pas à fouiller cinq pages ou à passer deux minutes montre en main
pour déterminer les résultats d’une action. J’aime beaucoup le système L5A,
parce qu’il est fluide et qu’en dépit des apparences, il est facile à
appréhender et contribue grandement à l’ambiance. J’ai longtemps tourné avec
des modifs maison du vieux système Interlock de Talsorian Games (utilisé entre
autres comme base pour Cyberpunk 2020 et Mekton Zeta). Les jets sont d’une
simplicité enfantine et on comprend tout au bout de dix minutes. J’apprécie
l’originalité des caractéristiques d’Esteren parce qu’elles sont liées au
comportement du personnage et que de hauts scores ne sont pas toujours
avantageux. Je dirais qu’en fait, si après une seule séance de jeu, un joueur
néophyte comprend aussi bien l’architecture de base du système que le meneur et
qu’il n’est pas nécessaire de tourner des pages dans tous les sens, ou de
passer quatre heures à créer son personnage, c’est un système qui devrait me
convenir. 


Quelles sont vos
campagnes préférées, pourquoi ?


J’apprécie beaucoup que les
participants aient la place de faire leur propre marque, de rendre l’histoire
et les personnages mémorables dans leur implication, d’apporter une plus-value
personnelle et collective, mais avec un fil rouge explicite ou caché. Une belle
campagne selon moi se veut être une histoire en constante construction mais qui
en même temps tient compte du fait qu’il faudra que cette histoire se termine à
un moment donné. Donc que sa conclusion ne doit pas être bâclée mais rendre
signifiant l’ensemble du jeu, en résumé. J’aime bien les fins ouvertes,
d’ailleurs, même si l’histoire principale est terminée. La « bonne
fin » d’une campagne pour moi, c’est en tant que meneur le moment où je me
lève et dis aux joueurs « Bon, j’ai fini. La suite, ce que vos persos
deviendront, je le laisse à vos soins. C’était notre histoire ensemble,
maintenant, c’est celle de chacun de vous ». Donc, pour moi, une bonne campagne,
c’est une campagne où dés le début, le meneur songe à la fin et ajuste cette
fin en fonction de ce qui se passe durant le jeu. Quitte à se retrouver avec
une histoire différente de celle qu’il envisageait au début.
Ces dernières années, entre autres, j’ai déjà fait jouer trois fois (bientôt
quatre) une campagne personnelle à L5A et c’est à la fois un plaisir et une
occasion d’introspection renouvelée. Après tout, je peux toucher du doigt mes
attentes plus ou moins explicites en ce qui concerne les joueurs, ce que je
considère comme un élément indispensable à la campagne ou pas… Ce qui se
reproduit d’un groupe à l’autre avec ou sans mon intervention, etc. Ce qui nous
renvoie en plein dans ma réponse à votre question sur ce qui distingue le jdr
des autres médias. 
Quels sont vos
univers de jeu de rôle préférés, pourquoi ?
Talislanta, pour son côté baroque et
multi-culturel avec plein de peuples aux idiosyncrasies bizarres ou
inquiétantes. L5A parce que sous des dehors qui peuvent sembler caricaturaux,
j’ai trouvé dans leur univers une multitude de manières d’interpeller les
joueurs sur la guerre, l’honneur, la spiritualité, la ségrégation sociale…
Delta Green, pour le trip conspirationniste qui revisite tout le 20ème siècle à
la sauce Chtulhu.  Kuro, pour le mélange
horreur, Japon et anticipation. Shadowrun, parce que ça permet de jouer des
mercenaires tendance anarchiste si on veut, dans une mosaïque de conflits
ethniques, culturels, nationaux, financiers et que l’homme le plus riche du
monde est un dragon qui s’appelle Lofwyr… Dark Heresy, parce que les PJ sont
des gens ordinaires face à des menaces indicibles dans un univers injuste ou
les « gentils » sont des crypto-fascistes… et qu’il leur arrive de
gagner malgré tout. En fait, j’aime bien les univers qui sous des dehors
rigides ou simplistes offrent – sans avoir à trop faire d’efforts – la
possibilité de nuancer, voire de flirter avec les attentes des joueurs pour les
prendre à contrepied à l’occasion. Un bon univers est pour moi très cohérent
mais en même temps assez souple pour que le meneur et les joueurs se
l’approprient, tout simplement.  
Que pensez-vous de la
distinction que font certains rôlistes entre story games et JdR ?
Il est clair que les deux n’offrent
pas exactement les mêmes possibilités, donc on peut effectivement les
« distinguer ». Et puis ? En réalité, il me semble que cette
« distinction » est devenue dichotomique dans l’esprit de
« certains rôlistes » pour reprendre votre question. On aime bien ça
dans le milieu, apparemment. Le simulationnisme vs le roleplay, le mainstream
vs l’indie, le story game vs le « jdr tradi », etc. J’avoue que j’ai du
mal à comprendre ce que ça peut apporter en fin de compte. Pourquoi choisir de
manger exclusivement sucré ou salé alors qu’on peut faire les deux ?
Jusqu’à présent, j’ai
trouvé satisfaction à être joueur, meneur de jeu et auteur de jdr. Mais je ne
suis le gardien d’aucun temple. Je n’ai rien contre les story games. Je n’ai
pas le sentiment que ce serait « trahir le jdr » que d’y prendre plaisir,
par exemple.
Pour être encore plus clair : Imaginons que dans un avenir proche la
quasi-totalité des joueurs actuels décident de privilégier les story games. Et
bien, en tant qu’auteur de jdr, il ne pourra m’arriver que deux choses : soit
ma créativité trouvera le moyen de s’exprimer par le biais de ce nouveau média,
soit il sera temps pour moi de passer à autre chose.
Personne n’est diplômé
en création de jdr ou de story game. Il n’y a pas un livre tombé du ciel qui
nous dise « tu écriras du jdr et tout ce qui ne sera pas conforme aux
saintes écritures sera traité par le mépris ou l’hostilité ». Les auteurs
de demain, ce sont les joueurs d’aujourd’hui. Ils reproduiront certaines
choses, et en apporteront de nouvelles aussi. A force de vouloir distinguer,
classer, cataloguer, on risque surtout de se couper l’herbe sous le pied et de
faire fuir du monde, en fait… on a déjà eu droit à quelques secousses lorsque
« certains rôlistes » ont voulu à toute force opposer le jdr à Magic,
puis aux RPG sur console et PC, puis aux GN, puis aux MMO. Et pourtant, je
connais un tas de rôlistes qui s’éclatent aussi avec ces autres formes de jeu.
Alors, ce ne sont pas des « vrais rôlistes » ? Et s’ils choisissent un
jour de préférer l’un de ces autres loisirs au jdr, on va les reléguer au fond
de la cour de récré et on leur parlera plus, c’est ça ? Ça rendra notre propre
expérience du jeu plus agréable ? Ça servira le jeu de rôles ? 
À vos yeux, qui sont
les trois personnes les plus représentatives de la nouvelle génération d’auteurs
de JdR français ? Qu’est-ce qui la caractérise, selon vous ?
Je ne crois pas qu’il y ait une
véritable « génération d’auteurs » parce que cela voudrait dire que les
gens qui se sont mis à écrire du jdr, mettons depuis l’an 2000 par exemple,
suivent presque tous les mêmes axes de création, et qu’ils se distinguent
globalement de leurs prédécesseurs dans leur démarche, de manière délibérée et
même explicite. Qu’ils ont sensiblement les mêmes exigences en matière de forme
sur leurs projets, ou partagent très largement les mêmes aspirations en termes
d’univers, d’ambiance, de système, de position idéologique ou philosophique sur
le jdr et sa place dans la société, etc. Je suis loin de connaitre
personnellement tous les auteurs du milieu francophone, et je n’ai pas lu toutes
leurs oeuvres, mais depuis mon petit bout de la lorgnette, je n’ai pas
l’impression qu’il existe un véritable « consensus générationnel »
parmi les auteurs. Ni sur le fond (pourquoi j’écris du jdr ?) ni sur la forme
(par quel circuit ? sous quel format physique ou électronique ?). Donc, à mon
sens, il n’y a pas de véritable « nouvelle génération », sur le plan de
l’identité, de la culture commune et ainsi de suite.
Néanmoins, les choses
évoluent bel et bien. Je dirais que la tendance chez les créateurs que je
connais est de chercher à explorer des pistes un peu moins balisées que celles
des années 80 (qui tournaient surtout autour du med-fan, de la SF et de
l’horreur contemporaine) sans forcément les bouder pour autant. Et que les
liens avec le jeu vidéo sont bien plus prégnants que par le passé. Les
passerelles entre ces deux médias n’ont cessé de se multiplier. Par ailleurs,
il me semble qu’on peut observer chez les auteurs actuels une certaine
propension à considérer les systèmes de jeu comme n’ayant pas forcément besoin
d’être très simulationnistes et exhaustifs pour remplir leur office. Enfin, il
y a eu une véritable émergence du jdr d’inspiration historique. Entre les jeux
qui veulent restituer un contexte réel et ceux qui tout en s’en inspirant lui
confèrent des aspects plus fantastiques.
Mais il y avait déjà
des univers ou des postulats très originaux avant les années 2000, de même
qu’il y avait déjà des partisans de jeux sans jets de dé ou avec des systèmes
minimalistes et customisables, et des gens qui exploraient l’historique ou le
« para-historique ». Donc, je pense que la « génération
actuelle » a surtout cristallisé et fait croître quelque chose qui
apparaissait déjà ici et là par le passé, et qui à l’époque parlait à l’esprit
créatif d’un certain nombre de joueurs et meneurs, avant qu’ils ne deviennent à
leur tour des auteurs. 
Donc,  pour trouver les « trois personnes les
plus représentatives », bah, je crois que j’ai zéro à la question, en
résumé. 
Comment voyez-vous
l’évolution du JdR dans le fond et la forme, et d’un point de vue économique au
sens large ? (nouveaux modes de financement comme le crowdfunding, modes
de distribution, rôle du Net, revues, conventions, etc.) ?
Sur le fond, le jdr  a cessé d’être un simple loisir pour une
proportion appréciable du public, qui y voit ou y cherche un sens
supplémentaire. La « jeuderôlogie » a ses adeptes, de même qu’il y a
des auteurs qui veulent interpeller le public sur des problématiques sociales,
environnementales ou même philosophiques. On constate d’ailleurs assez bien
cette évolution, à travers l’opposition (une fois de plus…) que l’on peut
observer entre les partisans du « c’est juste un jeu » et ceux qui
veulent le rendre signifiant sur un autre plan.

Il me semble
indéniable  que le public rôliste est moins
« isolé » que par le passé. Parce que la fantasy a gagné en popularité
depuis la trilogie du Seigneur des Anneaux, parce que le jeu vidéo a fait pas
mal de cartons dans la SF, la fantasy, ou l’horreur, sans parler du MMORPG et
même des séries télé. On a donc une fabuleuse opportunité de dire « J’ai un
loisir, le jdr. Et ça n’a rien de problématique. C’est juste ma passion et vous
ne risquez rien à l’essayer » et de remettre quelque pendules à l’heure.
Malheureusement,  je lis encore – ou
j’entends lors de discussions – trop souvent les propos de gens qui se
gargarisent de leur « élitisme », se voient comme des
« précurseurs », souvent parce qu’ils faisaient du jdr à l’époque où
le paysage ludique et audiovisuel était très différent. Voire se trouvent une
« mission » qui les place en opposition avec le reste du monde. Un
monde qui la plupart du temps ignore jusqu’à leur existence, d’ailleurs. Être
passionné, vouloir populariser le jdr, c’est une chose. Se la jouer
« militant » ou « précurseur » alors qu’on prêche dans le
désert et que ça n’intéresse même pas la majorité de la communauté… heu…
comment dire…
Par ailleurs, sur la
forme, la frontière entre le « professionnel » et « l’amateur »
est devenue plus floue dans le monde artistique en général ces dernières
années. Elle se confond souvent avec la distinction entre le
« mainstream » et « l’indie », et pas forcément de manière
pertinente. Considérer que tout ce qui est « mainstream » est forcément
médiocre est très réducteur, parce que dans le domaine du cinéma, de la musique
et du jeu vidéo, par exemple, c’est bien ce « mainstream » dans lequel
nous avons tous baigné depuis des décennies… c’est lui qui nous a nourri, ou
c’est par rapport à lui que nous nous sommes positionnés, souvent parce que
justement, il nous a interpellés. A l’inverse, considérer que tout ce qui
s’oppose au « mainstream » est obligatoirement meilleur et plus
vertueux, juste parce que c’est à l’autre bout du spectre et qu’il n’y a pas
des paquets d’argent derrière, n’est pas plus pertinent. Ca reviendrait à dire
pour faire une analogie que tous les groupes de musique largement connus et
médiatisés que l’on peut entendre en allumant une radio font forcément et
systématiquement des choses moins intéressantes que n’importe quel groupe inconnu
que l’on peut écouter en entrant au hasard dans un pub. Vous y croyez, vous ?

Si je me fie à ce que
j’ai pu voir dans le domaine du jeu vidéo par exemple, il me semble que pas mal
d’acteurs actuels ne mesurent pas forcément que le crowdfunding repose sur la
crédibilité de ceux qui y recourent. De nombreux projets sur Kickstarter ne
sont jamais achevés, ou le financement est sollicité alors que le projet n’en
est qu’à des étapes préliminaires de développement, par exemple. Il y a
certainement un juste milieu entre les financements nécessaires à des
structures réduites pour qu’elles puissent simplement travailler et le recours
systématique au crowdfunding par tout le monde et n’importe qui. De même,
certaines entreprises qui ont une trésorerie solide et des licences bien
établies n’hésitent pas à distribuer du « goodies » pour pouvoir
couvrir leurs arrières en obtenant un financement participatif, qui les
protégera d’un éventuel échec commercial (voire leur permettra de vendre au
public des produits déjà quasiment amortis avant même d’être parus…). Là, on
est plus dans le financement participatif, mais dans le montage financier… et
rien ne dit que ça durera encore longtemps.

Si une certaine « proximité » existe
désormais entre les spectateurs et les créateurs, par le biais d’internet, des
réseaux sociaux et du crowdfunding, sans parler des conventions où les joueurs
peuvent taper la causette et même jouer avec les auteurs, je crois qu’il serait
dommage de se laisser griser par ce phénomène. Il nous faut garder le respect
de notre public, ce qui est d’autant plus logique que nous sommes aussi pour la
plupart encore joueurs/meneurs et donc le public d’autres auteurs… si en tant
que public je n’apprécie pas qu’on me promette monts et merveilles pour me taper
du fric, alors, je me vois mal taper du fric aux autres en leur promettant
monts et merveilles…
Perso, j’ai déjà
travaillé pour des éditeurs, et je tente aussi l’aventure en auto-édition sur
mon principal projet actuel, Chiaroscuro. Pour expérimenter. Pour le challenge.
Pour voir. Je pense que le financement participatif est une possibilité
fabuleuse de renforcement des liens entre public et créateurs. Ainsi que
d’inspiration, car il y a quelque chose de stimulant et d’encourageant quand
des gens veulent investir de l’argent dans un projet que l’on veut mener à
terme.
Mais si nous voulons
que cela continue, alors il nous faut agir en restant crédibles et clairs. A
titre simplement personnel, oui, je veux bien gagner des pépettes si c’est
possible. Non, ça n’est pas pour en vivre. Loin s’en faut, d’ailleurs. C’est
juste le glaçage sur le gâteau pour tout dire. 
Et le gâteau, l’essentiel,
compte trois ingrédients qui me guident dans mon activité d’auteur :
1 – l’envie d’écrire, façonner, réfléchir, étayer, construire, mélanger, faire.
Explorer.
2 – l’espoir de partager, avec d’autres personnes, joueurs, meneurs, auteurs, qui
apprécieront mes idées et plus encore, les nourriront de leurs propres
cogitations, m’amèneront plus loin, ailleurs, autrement.
3 – finaliser, publier, éditer, donner une forme, une cohérence, une substance
à tout ça. Pour pouvoir dire à un moment donné « Voilà, moi j’ai fini. Sur
ce coup là, j’ai dit tout ce que j’avais à dire. C’est à vous,
maintenant ». Et puis recommencer.