Archives mensuelles : décembre 2015

Zenevia

La Cité des Masques est depuis longtemps un des hauts lieux culturels de l’Empire celaltan.  Elle a abrité quelques-uns de ses plus grands artistes et penseurs au cours des siècles. Les Zenevi furent les premiers à dénoncer avec vigueur la décadence de Celalta et leurs œuvres ont une part de responsabilité importante dans l’essor du mouvement qui brisa l’Empire.

Membre de la Ligue, Zenevia fit profiter ses alliés de ses largesses financières. Elle donna aussi à un grand nombre de jeunes gens trop idéalistes ou têtes brûlées l’occasion d’aller combattre les légions impériales, inspirés par les poèmes et discours des orateurs de la Cité des Masques.

L’architecture zenevi est souvent jugée baroque et excessive, voire dissolue et inégale, car elle mêle tous les caprices de ses créateurs. L’autre particularité locale la plus remarquable est au contraire la tenue vestimentaire des Zenevi. Dans l’enceinte de la cité, chaque individu arbore en permanence un masque de bois, représentant un des Archétypes de la Vie : la tristesse, la joie, la colère, l’amour, l’indifférence, la passion… Chaque Zenevi ne porte que des robes noires informes ou des vêtements sombres. Dès le lever, il choisit un masque reflétant un état d’esprit donné. Il s’efforce alors d’adopter le comportement ainsi affiché jusqu’à l’aube suivante. Il est très difficile pour les étrangers de reconnaître les Zenevi car les masques sont de simples objets, abstraits et aux traits minimalistes. Cependant, par quelque sens mystique qu’ils sont seuls à posséder, les Zenevi se reconnaissent infailliblement entre eux et peuvent s’identifier comme s’ils avaient le visage découvert.
Le port du masque est obligatoire pour tous les natifs de Zenevia, dès qu’ils sont en âge de parler. Les parents aident leurs enfants à choisir leurs masques et de nombreux artisans financés par le Prince de la cité réalisent chaque jour un grand nombre de ces objets, vendus pour une somme dérisoire à chaque personne qui en exprime le désir. Les citoyens aisés arborent des masques recouverts de feuille d’or ou d’argent, alors que les gens moins riches se contentent de simples parures peintes en blanc. Les seuls orifices des masques zenevi sont destinés aux yeux et aux narines, la bouche n’étant qu’un relief destiné à accentuer l’expression du masque. Il faut un œil assez averti pour parvenir à reconnaître les différences subtiles des Archétypes des masques et la plupart des étrangers en étant incapables, ils sont assez mal à l’aise et fréquemment désarçonnés par le comportement de leurs hôtes.

Le port des masques oblige les Zenevi à manger à l’abri des regards et les repas en groupe sont un spectacle des plus étranges. Si certains Zenevi emploient en ces occasions des masques spéciaux laissant la bouche libre, ou trouvent le moyen de se tourner le dos, la plupart préfèrent se servir de minces écrans repliables, formant un délicat treillis de bois ouvragé à travers lequel on peut deviner leur silhouette sans forcément voir leurs traits. Les gens les plus aisés mettent un point d’honneur à étaler leur richesse en possédant plusieurs écrans, chacun sculpté de manière à correspondre à l’Archétype du jour de son propriétaire. Il est par ailleurs de coutume que les époux ou amants ne se dévêtent que dans la plus stricte et sombre intimité.
Domestiques, serveurs et médecins apprennent très tôt à adopter des attitudes qui leur permettent de limiter autant que possible d’accidentels coups d’œil sur un visage découvert par la force des circonstances.

Cependant, chaque année pendant une semaine se déroule le Festival des Faciès, durant lequel tout un chacun peut déambuler le visage découvert et agir selon les caprices de sa nature. La période du Festival est caractérisée par les excès les plus étranges, et souvent marquée par divers évènements sordides ou même tragiques.
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Tristana

Au moins, il ne fait pas froid.
Tristana plissa les lèvres en un sourire ironique et bougea légèrement pour soulager la tension de ses muscles. Rester immobile dans l’encoignure d’une porte, à l’affut, s’avérait bien plus pénible qu’on aurait pu le croire.

Elle en met, du temps.

Mais Valda devait agir avec prudence, si elle ne voulait pas donner l’alerte pendant qu’elle se livrait à sa « visite » de la maison. Le vieux Marizzoli n’avait jamais été un combattant, malgré son titre de chevalier, mais il avait des domestiques et surtout, deux solides gardes du corps. Tristana avait discrètement observé ces derniers lorsqu’ils accompagnaient leur maître dans les rues d’Adranto. Elle savait que si Valda se loupait, il lui faudrait intervenir. Et si la jeune femme avait appris pas mal de choses sur l’art du combat durant sa courte carrière de mercenaire, elle en savait assez pour estimer ses chances en cas d’affrontement.

A tout prendre, je préfère encore rester plantée là que de devoir danser avec ces types. Surtout les deux à la fois.
La maison de Marizzoli était plongée dans le noir et Tristana se prit encore une fois à imaginer la lente progression de la cambrioleuse, avançant pas à pas dans l’obscurité presque complète. Un bibelot au mauvais endroit, un plancher grinçant, un tapis traitreusement posé sur le sol… les possibilités que tout tourne mal ne manquaient pas. Plus la guerrière y songeait et plus elle sentait l’inquiétude s’installer, ajoutant son poids à l’inconfort et l’attente. Elle devait se concentrer sur autre chose et arrêter de nourrir sa peur, mais elle ne pouvait empêcher son esprit de revenir encore et encore sur ces pensées obsédantes.

Un léger mouvement à l’étage, près de la fenêtre entrouverte. Tristana se retint à grand-peine de pousser un soupir de soulagement. La silhouette de son amie se glissa le long du mur avant de se blottir brièvement dans les ombres près du sol. Puis, en quelques instants, Valda la rejoignit et sans un mot, les deux femmes s’enfoncèrent dans la ruelle proche. C’était idiot, mais une fois le coin passé, Tristana se sentit beaucoup plus légère.
Elles marchèrent quelques pas jusqu’à une torchère proche et elle se tourna vers la cambrioleuse.
 « Alors ? »
Valda haussa les épaules et lui adressa un sourire amusé.
 « Aucun problème. J’ai les papiers et personne n’a bronché. »

La cambrioleuse s’étira un bref instant, nonchalante, avant de reprendre sa marche, l’air assuré.

Tristana fronça les sourcils, consciente que son amie la
taquinait et en rajoutait en crânant. Valda savait que la guerrière était du genre à gamberger, mais parfois, elle en profitait un peu trop au goùt de Tristana.

Enfin, cette fois tout s’est bien passé, au moins. Ventrinio sera content.

Elle se détendit en expirant doucement et sa main s’éloigna enfin du glaive qu’elle n’avait pas quitté jusqu’alors. Son cousin les attendait au Dauphin d’argent, avec quelque chose de chaud à manger. Il était encore assez tôt et leurs amis seraient peut-être encore là.  La taverne de Ventrinio leur servait de quartier général quand elle n’était pas ouverte à la clientèle et ils pourraient peut-être discuter un moment et même boire un coup avant que tout le
monde aille dormir. Mais même si son cousin était seul à les attendre, Tristana serait satisfaite de pouvoir enfin passer à autre chose.

Comme je déteste faire le guet dans l’attente que ça tourne mal.

Heureusement, Valda était bien plus prudente que son attitude le laissait croire. Adranto n’était pas une ville si grande qu’on puisse se permettre le luxe d’y entretenir une réputation. Pas sans
conséquences, en tous cas. Valda était née dans ces rues et elle n’aimait pas prendre de risques. Les occasions de croiser le fer ou de casser quelques dents n’avaient pas été si nombreuses que ça, mais Tristana se laissait encore prendre au jeu de son amie.
La cambrioleuse se retourna vers elle et tapa du pied sur le sol. Tristana se reprit et lui lança un bref sourire embarrassé en retour. Toutes deux reprirent leur marche. L’oreille à l’affut d’une patrouille de licteurs. Encore quelques minutes, et elles seraient en sécurité, au chaud.
Dans l’obscurité, Tristana fronça les sourcils et se redressa légèrement.

Ne relâche pas ton attention, ma vieille.