Us et coutumes des Ikoniens

Croyances
Le dogme de l’Église Séraphique est essentiellement pratiqué par les habitants de la Cité Sainte et de ses protectorats, mais au cours des siècles, un nombre croissant d’Ikoniens sédentaires s’est également tourné vers cette foi. Les autres, à l’instar de presque tous les nomades, ont des croyances plus diverses. Les Ikoniens dans leur grande majorité ne vouent aucun culte aux ancêtres. Pour eux, la chute de l’Hégémonie montre clairement que leurs ancêtres ont failli et qu’il serait donc paradoxal de leur rendre hommage, ou de les respecter. Les Ikoniens respectent leurs ascendants directs plus récents, mais cela tient davantage de la fierté familiale que d’une quelconque dimension spirituelle.

A l’inverse, nombre de nomades quant à eux pratiquent un culte ancestral très différent de celui des Célians. Le culte ikonien est organisé autour de femmes, les mesiti, qui pourraient parait-il entrer en transe afin de recevoir les avis des défunts. Cependant, les nomades se montrent très discrets et refusent d’évoquer ce genre de choses en présence d’étrangers. Leur réputation, déjà équivoque, serait encore rabaissée si les secrets des mesiti étaient dévoilés, car il serait aisé de les assimiler à des pratiques nécromantiques. Malgré tous leurs efforts, certaines rumeurs ont cependant fini par circuler, jusqu’à attirer l’attention des Fuligines. Les fossoyeurs sont en effet particulièrement méfiants envers tout ce qui peut troubler le repos des morts. Les Fuligines, plus encore que les autres Célians, gardent attentivement à l’œil les nomades ikoniens de passage. Jusqu’à présent, si de nombreuses questions demeurent sans réponse, les Fuligines ne sont pas parvenus à trouver des faits objectifs prouvant que les supposés pouvoirs des mesiti relèvent bel et bien de la nécromancie. Les deux groupes marginalisés entretiennent donc des rapports circonspects mais relativement sereins, en comparaison de l’accueil que certaines communautés rurales et bon nombre de licteurs réservent aux nomades de passage.

Coutumes
Les ouramans voient leur vie rythmée par les rites de l’Église Séraphique et mènent des existences ordonnées. Naissances, mariages et funérailles sont célébrés selon la liturgie séraphiste et l’on peut considérer dans l’ensemble que les us des ouramans et ceux des séraphistes se confondent sur les territoires contrôlés par la Cité Sainte. Les sédentaires de leur côté adoptent le plus souvent certaines coutumes locales, mais conservent les anciens rites hégémoniens pour les mariages, qui demeurent encore presque toujours arrangés par les familles des futurs conjoints. Enfin, les nomades perpétuent un ensemble de pratiques festives, accordant une part considérable à la musique et à la danse dans de nombreuses facettes de leur vie quotidienne. Leurs célébrations sont aussi baroques et endiablées que celles des ouramans s’avèrent ritualisées et austères.

Culturellement, les Ikoniens attachent rarement de l’importance aux questions d’honneur individuel, ou de gloire personnelle. Les ambitions sont le plus souvent sublimées à travers le groupe, ou l’une des factions qui le compose le cas échéant. Cet esprit collectiviste a assuré à la fois la puissance de l’Hégémonie et la survie des Ikoniens après sa chute. Cependant, parmi les Promoteurs et surtout les Parfaits, les intérêts collectifs se confondent souvent avec les visées plus personnelles. De tels individus s’efforcent de gagner en influence auprès des autres castes et les plus doués, ou les plus charismatiques, finissent par obtenir un pouvoir important, car toute une partie de la communauté se ligue derrière eux. Qu’elles soient ouramanes ou sédentaires, les communautés ikoniennes modernes sont donc composées pour la plupart de factions, qui transcendent les distinctions entre castes à travers les discours et le pouvoir de leurs meneurs. Aux yeux des Ikoniens, cette situation est normale car elle permet à l’ensemble des castes de peser réellement sur le groupe, même si concrètement, ce sont encore presque toujours les Parfaits qui mènent les différentes factions.

De leur côté, les nomades ont tendance à se montrer pragmatiques selon deux axes : survivre et prospérer. Les individus qui disposent du talent et du charisme nécessaires pour préserver ces priorités sont respectés, tant qu’ils ne se montrent pas tyranniques ou n’abusent pas de leur statut. Les nomades rejettent le principe des castes et, sur un plan théorique, ils sont plus égalitaires et respectueux des désirs personnels que leurs cousins. Dans les faits, les luttes d’influence au sein des clans nomades sont simplement plus discrètes, et les allégeances plus mouvantes que dans les autres communautés ikoniennes.

Valeurs
La très grande majorité des Ikoniens cherche à promouvoir la solidarité et l’esprit communautaire. Cet héritage de l’ancienne culture insulaire d’Ikonia s’est perpétué aussi bien au sein des ouramans que des sédentaires et même plus encore parmi les nomades. Cette solidarité s’exprime évidemment de manière diverse et nuancée lorsqu’on en arrive à la définition exacte de la « communauté ». A l’exception des plus réactionnaires, les ouramans se sentent solidaires de tous les fidèles de l’Église Séraphique, quelle que soit leur ethnie. Les sédentaires quant à eux oscillent entre deux tendances : encourager le bon voisinage et la solidarité avec les autres peuples ou resserrer les liens entre Ikoniens et s’assurer que leur identité culturelle se perpétue. Pour les nomades, les choses sont très simples : la loyauté va à la famille immédiate et au clan avant tout. Les autres Ikoniens viennent bien après et, pour la majorité des nomades, le reste du monde n’a guère d’importance.

Les représentants des autres peuples sont désignés de différentes manières par les Ikoniens. Le terme de xenos est le plus répandu, puisqu’il désigne tous ceux qui ne sont pas des Ikoniens. Il s’agit d’un mot dont l’emploi est généralement neutre, sans connotation particulière. Très souvent, on préfère utiliser ytonas (voisin) pour indiquer les étrangers avec lesquels on entretient des rapports réguliers, ou pour faire preuve de politesse envers des inconnus. Les cultures ikonienne, célianne et lyrrienne sont patriarcales, ainsi, les femmes ikoniennes qui épousent des étrangers quittent leur communauté natale. Certains Ikoniens jugent alors approprié d’employer le mot ytonas pour parler d’elles, mais cet usage est loin d’être unanime et suscite parfois des controverses. Les femmes xenos qui prennent époux chez les nomades ou les ouramans sont considérées comme des Ikoniennes à part entière, même si certaines jalousies personnelles peuvent demeurer.

Sur les terres contrôlées par la Cité Sainte, on peut aussi entendre le mot métoï, qui désigne les étrangers résidents. Les métoï sont des non-ikoniens venus s’installer dans les possessions ouramanes, mais qui n’ont pas demandé à devenir des citoyens (et des fidèles) de la Cité Sainte. Ils sont donc dans leur très grande majorité des Indigents, ou des Effectuateurs pour ceux qui ont des professions plus respectables.

Enfin, les Ikoniens les plus méprisants emploient des mots très péjoratifs pour désigner les étrangers qui leur déplaisent, comme yippas (vautours) ou encore neoploutos (parvenus, arrivistes). Ces mots reflètent bien le sentiment qui persiste dans l’inconscient collectif des Ikoniens : les civilisations continentales doivent tout à leurs ancêtres. Elles seraient restées dans la barbarie si elles n’avaient pas bâti leur puissance sur les restes de l’Hégémonie. Les nomades sont parfois traités de yippas par leurs cousins sédentaires et ouramans les plus réactionnaires.

Les Ikoniens et le reste du monde

Généralités
La division de la culture ikonienne en trois grandes branches après la destruction de l’archipel résulte surtout de la manière dont les survivants vécurent ce désastre ainsi que la chute de l’Hégémonie.

Ainsi, les sédentaires souhaitent préserver leur identité ikonienne mais sont conscients que les autres peuples n’ont pas oublié leur ancienne domination. Affirmer cette identité tout en évitant de se mettre à dos leurs voisins résume leur ligne de conduite. Les nomades, à l’inverse, se moquent bien d’une quelconque unité ikonienne. Issus majoritairement des couches les plus modestes de l’Hégémonie (Effectuateurs peu considérés et Indigents), leurs ancêtres ne voyaient aucun intérêt à préserver un système dans lequel on ne leur accordait guère d’importance. Les ouramans, quant à eux, pensent que l’Hégémonie aurait pu évoluer autrement, si une dimension plus collective et respectueuse de sa diversité culturelle avait pu voir le jour. Les dogmes sociaux de l’Église Séraphique et son organisation même en font, du point de vue des ouramans, le meilleur outil possible pour stabiliser les sociétés continentales et éviter dans le même temps les frictions qui causèrent la fin de l’Hégémonie. A cet égard, la guerre civile qui brisa en deux l’Empire de Celalta suscite bien des controverses au sein de la hiérarchie de la Cité Sainte.

Des relations complexes
Parmi les Ikoniens, les ouramans sont les généralement les plus entreprenants, car ils sont majoritairement persuadés que leurs cousins sédentaires et nomades devraient se tourner vers la foi séraphiste, ou en tous cas accepter l’unification de tous les Ikoniens dans un but commun : refonder une société puissante, dotée d’une culture respectée. Ils entreprennent donc souvent des campagnes de conversion dans l’espoir de resserrer les liens entre la Cité Sainte et les autres Ikoniens. L’Église Séraphique abrite pourtant son content de réactionnaires, qui souhaitent que les descendants des fondateurs de l’Église conservent la haute main sur cette institution. Si les Ikoniens issus des rangs des sédentaires ou des nomades sont les bienvenus, on rechigne à les laisser accéder aux plus hautes fonctions, et ces réactionnaires livrent depuis des générations une bataille perdue pour limiter l’ascension dans les hiérarchie des convertis issus d’autres peuples. Cependant, ces réactionnaires sont minoritaires, car la majorité des Hiérarques de l’Église est consciente qu’elle peut difficilement étendre l’influence de sa foi si elle exploite la piété des autres peuples sans leur donner une part de la grandeur et du pouvoir auxquels ils participent. Les siècles d’efforts qui ont permis l’assimilation des habitants des Protectorats montrent bien aux yeux de cette majorité que l’influence de l’Église et la restauration d’Ikonia ne sauraient être possible sans la participation de plein droit de tous ceux qui embrassent ces causes : natifs de la Cité Sainte, Ikoniens sédentaires ou nomades ainsi que les alliés et les convertis étrangers. La nouvelle Ikonia, dont l’avenir est encore bien nébuleux, se confondra pour l’essentiel avec l’Église Séraphique, et cette dernière doit déjà beaucoup aux générations de convertis qui ont contribué à son essor.

Les dirigeants de plusieurs communautés sédentaires jouissent d’une influence locale assez forte, à Bevelenus par exemple. Mais la plupart des sédentaires veulent avant tout éviter les problèmes avec leurs voisins et sont peu portés sur les grandes ambitions politiques. Il leur importe surtout de veiller sur leur communauté. Durant les premiers siècles de l’Empire, une discrimination réelle existait et les agressions ou attaques contre les Ikoniens étaient assez nombreuses. Les choses se sont lentement calmées et si une certaine prudence méfiante demeure, les frictions sont devenues bien rares en réalité. Un examen attentif de la généalogie célianne montre d’ailleurs que les mariages mixtes ont existé depuis l’aube de l’Empire, jusqu’au sein de lignées patriciennes parmi les plus prestigieuses. Cependant, pour la plupart, les Ikoniens sédentaires perpétuent les ambitions matrimoniales et les distinctions de leurs ancêtres Effectuateurs : ils s’intéressent bien plus aux rivalités internes à leurs communautés qu’au monde extérieur. Si plusieurs quartiers ikoniens sont connus pour leur hospitalité ou leur cosmopolitisme (à Celalta notamment), dans la majeure partie des cas, les non-ikoniens n’y sont guère bienvenus s’ils essaient de s’y installer.

Les clans  nomades quant à eux ne se mêlent pas de politique, évitent de prendre parti et ont tendance à privilégier avant tout les relations individuelles. S’ils demeurent circonspects envers tous ceux qui n’appartiennent pas au clan, ils se soucient peu en fait des origines ikoniennes ou non de leurs interlocuteurs. Les nomades ont déjà fort à faire avec leurs rivalités, leurs querelles de clans et la propension des autorités à les considérer comme des boucs émissaires. Les personnes extérieures au clan sont donc jugées selon leurs actes, bien plus que selon leurs origines. Il n’y a guère que lorsque des liens de sang avérés interviennent (principalement entre les clans, donc, mais aussi avec quelques communautés ikoniennes sédentaires) qu’une certaine solidarité ethnique est de mise.

Sources de tensions
Les dernières grandes flambées de violence anti-ikonienne remontent à plusieurs siècles, mais il peut encore y avoir des troubles locaux à la suite, par exemple, de délits commis par des nomades de passage. La propension de quelques familles nomades à se livrer à diverses escroqueries a suscité en effet une certaine méfiance envers l’ensemble des Ikoniens qui vivent sur les routes, de la part des autres peuples ainsi que de la majorité des sédentaires et des ouramans. A cela s’ajoute le fait que les nomades descendent en grande majorité d’Effectuateurs aux professions peu considérées, ou d’Indigents. Ils sont en majorité persuadés que de toute manière, jamais leurs cousins sédentaires ne les traiteront avec respect, sans parler des prosélytes ouramans. Comme ils ne se montrent guère zélés à l’idée de préserver les valeurs antérieures à la Chute, ou à convertir les autres à leurs croyances, les nomades sont globalement aussi peu appréciés par leurs cousins ikoniens que par le reste du monde.

Si les sédentaires évitent autant que possible de provoquer leurs voisins, des rivalités commerciales ou des inimitiés personnelles peuvent cependant attirer l’hostilité sur une communauté. Des agressions et des destructions de biens sont dans l’ordre des choses si les esprits locaux les plus échauffés pensent pouvoir compter sur la complaisance, ou même le soutien, des autorités. Les mariages entre sédentaires et non-ikoniens peuvent également provoquer des conflits, surtout si la communauté ikonienne pense qu’elle sera perdante à terme (par exemple, lorsqu’une famille de négociants aisés a pour seule héritière une jeune femme qui décide d’épouser un non-ikonien).

Les sédentaires ont également à coeur de garder à l’oeil leurs cousins ouramans, lorsqu’ils s’installent dans le voisinage ou s’y manifestent fréquemment.  Dans leur souci d’intégration, ou tout au moins d’acceptation, la majorité des sédentaires redoute que les efforts de conversion de leurs cousins venus de la Cité Sainte finissent par susciter l’hostilité des autres peuples, à commencer par les Célians. Ces derniers ont toujours été orgueilleux, et leur susceptibilité ne s’est pas arrangée avec la Guerre Civile. Le fait que l’Église incorpore de plus en plus d’étrangers dans ses rangs est perçu avec une certaine ambivalence par les sédentaires. D’un côté, cela montre que la Cité Sainte ne souhaite pas restaurer l’Hégémonie et sa discrimination ethnique avérée. Dans le même temps, on peut aussi s’interroger sur la place dévolue aux Ikoniens eux-mêmes dans les plans de l’Église. Les dirigeants de la Cité Sainte n’étant pas unanimes à ce sujet, malgré des assurances verbales réitérées, les sédentaires se montrent en général assez tièdes dés qu’on leur demande de faire davantage qu’embrasser la foi séraphiste du bout des lèvres. Leurs communautés comptent de nombreux adeptes du séraphisme, mais les plus fervents ont tendance à partir, pour rejoindre les rangs de l’Église, ou s’installer dans les territoires qu’elle contrôle.