La malédiction de Bevelenus
Depuis la fondation de l’Empire, deux maisons importantes se sont succédées à la tête de la cité de Bevelenus, et toutes deux ont été éradiquées en s’opposant à la dynastie impériale. Par conséquent, depuis la fin de la guerre civile, certains beveleni se sont mis à croire que leur cité est victime d’une malédiction qui frappe ses dirigeants.
Les maisons défuntes.
Les Remana étaient issus d’un clan qui rejoignit l’Empire au début du 2ème siècle. Maison puissante s’il en est, ils usurpèrent le trône en 312, et disparurent avec l’ascension d’Adolphus, dit « le Restaurateur » en 342, à l’issue de la fameuse Guerre des Princes. Ceux qui pensent que Bevelenus est maudite y voient pour preuve que Cassius Remana, l’usurpateur, devint sénile après être monté sur le trône et fut tué par son héritier, Pertinax. Ce dernier quant à lui ne régna guère longtemps avant d’être tué par les partisans d’Adolphus.
Une fois au pouvoir, Adolphus mit à la tête de Bevelenus un nouveau Comte, Alessandro Seneca. Cet ancien chevalier parmi les premiers fidèles d’Adolphus, fut au nombre de ceux dont la loyauté fut justement récompensée par le Restaurateur. La maison Seneca acquit beaucoup d’influence durant les siècles suivants, car elle noua des relations étroites avec les marchands de Bevelenus et les soutint activement dans leurs entreprises. Au sommet de leur puissance, les Seneca étaient jalousés par de nombreuses maisons, à commencer par les Rufus de Laudano. Durant la guerre civile, trois membres de la maison Seneca tombèrent sous le poignard des assassins et le dernier fut tué lors d’une escarmouche pendant le siège de la cité. La disparition totale des Seneca a grandement contribué à répandre les premières rumeurs sur « la malédiction ». Ceux qui croient en son existence pensent qu’elle frappe les maitres de la cité lorsqu’ils se dressent contre le pouvoir impérial. Cela cause une certaine inquiétude à plusieurs membres de la Main dorée, qui ont pris le contrôle de la ville et confirmé son allégeance à la Ligue.
La vérité
Les rumeurs sont l’œuvre des moines sanctissimes (Imperium p.85) qui vénèrent Saint Andreas, un natif de la cité. Les moines ont constitué autour d’eux un petit groupe qui a pris ce nom de « malédiction de Bevelenus » et se sent investi d’une mission divine. De son vivant, Andreas Carus fut en effet le seul chevalier de Bevelenus à s’opposer à ses suzerains Remana, lorsqu’ils renversèrent la lignée Ambrosius. Son intégrité lui valut d’être exécuté par excruciation. Cependant, ses enfants parvinrent à échapper aux agents de l’usurpateur et furent recueillis par des amis de la famille. Par la suite, ils devinrent de fervents partisans du prince Adolphus et aidèrent les Seneca à s’établir dans leur nouvelle cité une fois les Remana renversés. Seul le fils cadet d’Andreas, Pietro, vécut assez longtemps pour faire édifier le petit monastère honorant son père, dont il devint le premier abbé.
En secret, le fondateur du monastère de Saint Andreas se sentait investi d’une mission de justice et jusqu’à son dernier jour, il poursuivit son œuvre : identifier et punir les ultimes partisans des Remana à Bevelenus. Il provoqua la mort ou la mise en accusation d’une bonne dizaine de personnes, sans que son nom apparaisse jamais. Son successeur découvrit la vérité dans le journal intime de Pietro mais garda le secret. Cependant, le journal ne fut jamais détruit et survécut jusqu’à l’époque actuelle.
Le monastère bénéficia pendant longtemps des dons et de la fréquentation des Seneca. Au cours du siècle dernier il a vu sa congrégation diminuer et une partie de l’édifice est désormais à l’abandon. Il ne compte plus que deux moines, Sincero et Modesto, qui partagent un sinistre secret : ils ont décidé de reprendre le flambeau du fondateur et d’honorer le sacrifice de Saint Andreas, en punissant les traitres à l’Empire. Durant la guerre civile, ils ont ainsi causé la mort de deux chevaliers en profitant des combats et d’une des filles de la maison Seneca. La jeune femme fut poignardée alors qu’elle était venue se réfugier au temple durant le siège, avant que sa dépouille soit abandonnée dans la rue. Les deux hommes ont également discrètement nourri les craintes populaires. Tout en prétendant être sincèrement chagrinés par la disparition de la lignée régnante de Bevelenus, ils n’ont cessé d’œuvrer depuis dix ans afin de faire croitre l’idée que tous les traîtres à l’Empire risquaient de devenir victimes de la malédiction. Jouer sur les similitudes entre le destin funeste des Remana et celui des Seneca était d’autant plus évident que les sanctissimes ont lu le journal intime de Pietro, et voient dans leur œuvre une tâche inspirée par Saint Andreas lui-même.
Les conspirateurs
Durant la Guerre Civile les deux fondateurs de la malédiction parvinrent facilement à dissimuler leur responsabilité dans les morts dont ils furent responsables, mais des actions aussi radicales seraient impossibles désormais. Pendant plusieurs années, la reconstruction de la cité et les tensions avec l’Empire ont empêché les deux hommes d’avoir les coudées franches. Si leur résolution perdure, elle a perdu une bonne partie de sa force. Dans leurs rêves les plus fous, Sincero et Modesto aimeraient être les inspirateurs d’un grand soulèvement populaire, qui permettrait à Bevelenus de rejoindre l’Empire, mais ils sont très indécis sur la marche à suivre. Notamment parce que malgré la grogne et le mécontentement, la population de Bevelenus demeure majoritairement satisfaite du changement de gouvernement, au grand dam des deux moines et en dépit de leurs efforts furtifs de propagande. Depuis l’armistice, ils n’ont trouvé que quatre fidèles qui soient dignes de confiance et suffisamment résolus pour embrasser leur cause.
Les six membres de la malédiction :
– Sincero : l’ainé des deux moines de Saint Andreas, Sincero est aussi le plus pondéré des membres de la conspiration. Cependant, derrière une façade imperturbable, il dissimule un trouble plus profond : après trente ans de service, jamais Saint Andreas ne s’est adressé à lui, ni ne lui a conféré le moindre pouvoir. Sincero est rongé par le doute et espère qu’en poursuivant l’œuvre du premier abbé du monastère, le saint finira par reconnaitre ses mérites. Sa foi est encore forte, mais elle décline inexorablement.
– Modesto : plus virulent et intransigeant que son confrère, Modesto est essentiellement motivé par un sens aigu de l’injustice et par la jalousie. En fin de compte, même s’il croit en Saint Andreas, le moine est tellement persuadé de sa propre rectitude qu’il ne remettrait jamais en cause ses actions les plus radicales. Modesto doit déployer beaucoup d’efforts pour ne pas attirer les soupçons des fidèles qui ne font pas partie de la conspiration, mais jusqu’à présent, personne n’a envisagé qu’il puisse être autre chose qu’un moine plutôt rébarbatif et autoritaire.
– Cato Felice : un licteur de la cité qui ne supporte pas les passe-droits et les prérogatives dont abusent de plus en plus les bourgeois. Cato n’est pas du genre à cacher ses opinions, ce qui l’a privé deux fois d’une promotion qu’il juge amplement méritée et lui a attiré quelques inimitiés parmi ses estimés collègues. Comme on peut l’imaginer, sa nature assez franche fait qu’il s’entend assez bien avec Modesto.
– Claudia Alberti : cette vieille magistère loyale envers les Seneca est rongée par de terribles problèmes d’arthrose. Tous ses confrères ayant péri durant la guerre civile, elle s’est retrouvée à la tête de son ancienne école. L’opportunisme de la Main dorée qui fait pression sur elle afin de contrôler ses élèves l’irrite profondément. Sa santé déclinante l’empêche souvent de mettre ses pouvoirs au service de la malédiction mais en tant que magistère trine (maitrisant les magies vernale, estivale et hivernale) elle représente quand même un atout de taille.
– Ernesto Scala : un maçon pieux et humble, dont le sens de la justice a été exacerbé par les autres conspirateurs au point que cet homme généralement affable et timide est devenu le plus exalté des membres de la malédiction. Quand il est calme, Ernesto reste en retrait et participe peu aux discussions des conspirateurs, mais dés que la tension monte, il devient si virulent que Modesto et Cato doivent parfois calmer ses ardeurs vengeresses.
– Julius Alesi : un jeune condottiero au passé trouble, qui loue ses services en tant que garde du corps. La conscience de Julius est accablée par certains actes qu’il a commis durant ses pérégrinations. Ses tourments intérieurs n’ont pas échappé au moine Sincero, fin psychologue, qui l’a recruté dans la conspiration. S’il est certainement le meilleur combattant des membres de la malédiction, Julius Alesi est encore celui qui aurait le plus de scrupules à tuer des personnes sans défense. Il a déjà bien trop de fantômes similaires sur la conscience.
La malédiction en action
Ces dernières années, le groupe n’a rien fait de décisif et son activité a consisté pour l’essentiel à perpétuer les rumeurs sur la supposée malédiction devant s’abattre sur les traitres. Ils se réunissent au moins une fois par mois et leurs discussions sans fin mettent en évidence les divisions au sein des conspirateurs. Ils ne parviennent tout simplement pas à se mettre d’accord sur la marche à suivre : faut-il chercher à s’allier avec une maison patricienne impériale proche ? Frapper des personnalités en vue de la cité ? Monter les traîtres les uns contre les autres, y compris en soutenant les voisins et rivaux de Bevelenus ? Tenter de déclencher une révolte de la plèbe ? Consolider encore leurs forces dans l’espoir de pouvoir dans un avenir proche apparaitre au grand jour ? Identifier des espions celaltans pour se mettre en rapport avec eux ? Modesto est le plus déterminé à agir, probablement parce qu’il a toujours jalousé ceux qui réussissent. Il peut compter sur la ferveur de Cato et d’Ernesto, même si ce dernier est souvent plus une gêne qu’un atout. Cependant, à part quelques agressions de serviteurs des membres de la Main dorée et l’incendie de la demeure d’un chevalier, la malédiction n’a rien de concret à son actif depuis la fin de la guerre civile. Sincero conserve le contrôle du groupe, grâce à ses discours empreints de justice et de piété, mais il est lui-même incapable de prendre le taureau par les cornes pour mener ses alliés dans l’action.
Ainsi, l’impatience ronge de plus en plus le petit groupe de conspirateurs. Cela risque fort d’amener l’un d’eux à se montrer imprudent, ou à passer à l’action de manière précipitée. Cela risque de se produire si jamais un scandale suffisamment choquant ou un évènement d’importance est perçu par les plus impatients des conspirateurs comme une opportunité en or. Ensuite, l’affaire a toutes les chances de tourner très vite au carnage car chacun des membres de la malédiction a en tête plusieurs personnes dont il souhaite précipiter la ruine, ou abréger les jours. Pour la plus grande gloire de Saint Andreas, cela va sans dire.
A suivre dans la troisième partie : le dernier des Seneca