L’histoire de la maison Oranius recèle un évènement sanglant, que ses descendants préfèrent garder dans l’ombre. Pendant quelques années, au cours du 6ème siècle, leur maison manqua de disparaitre et leurs sujets tentèrent de faire d’Ancinium une cité affranchie du giron impérial. Ils se retournèrent contre leurs suzerains et luttèrent seuls contre un péril terrible, avant d’être impitoyablement punis par leurs maitres.
Voici l’histoire de l’éphémère République d’Ancinium.
Tout le monde dans l’ouest de l’Empire sait que le Duc Caseo Oranius tomba sur le champ de bataille au cours de l’année IC 520, face aux tribus brumaires coalisées par la Reine Sorcière. Puis, les barbares assiégèrent Ancinium ainsi que Lyrr et s’aventurèrent aux frontières du Duché de Vallombrosa.
Cependant, l’histoire officielle est remarquablement lacunaire sur ce héros de guerre. On a préféré oublier le fait qu’en dehors de ses aptitudes de combattant, Caseo Oranius était un seigneur dont il était difficile de trouver les mérites. Pour le dire plus clairement, il s’agissait d’un homme vaniteux et capricieux, un petit tyran mesquin, qui était parvenu à se faire détester de quasiment tous les habitants de ses terres. Certains pensent d’ailleurs que ce ne sont pas forcément les épées brumaires qui ont mis un terme à sa vie. D’aucuns vont jusqu’à affirmer que ses conseils malavisés ne sont pas étrangers à la série de défaites cuisantes subie par les Célians durant les semaines qui précédèrent sa mort.
Quoi qu’il en soit, lors d’une bataille à la lisière de la Trouée des Lames, Caseo et la majorité de ses parents en âge de combattre tombèrent avant que les rescapés ne se retranchent précipitamment dans l’est, abandonnant Ancinium et ses parages aux barbares assoiffés de pillage lancés sur leurs talons.
Les murs de la ville assiégée offrirent un abri précaire aux réfugiés ainsi qu’aux survivants des affrontements avec les Brumaires, mais la situation dans Ancinium ne tarda pas à empirer. Les habitants des quartiers aisés se barricadèrent et bloquèrent l’accès aux entrepôts de denrées que la maison Oranius avait sagement entretenu dans la perspective d’un tel péril.
Il est difficile de dire ce qui provoqua finalement le soulèvement à l’intérieur des murs, mais les derniers Oranius encore en vie dans leur palais furent emprisonnés ou tués par une alliance de mécontents, qui comptaient dans leurs rangs certains notables de la ville, plusieurs chevaliers s’estimant trahis par leurs suzerains et d’autres personnes aux origines plus nébuleuses.
La République d’Ancinium fut proclamée au printemps IC 521, alors que les murs de la ville étaient attaqués par les barbares, et elle dura jusqu’à la libération de la cité par les légions impériales. Durant ce laps de temps, un Comité d’Urgence vit le jour et organisa la défense de la cité, ainsi que le rationnement des habitants. Des fouilles furent menées pour que les provisions que certains avaient dissimulé soient confisquées, avant d’être distribuées de manière équitable. Il y eut même plusieurs exécutions, après des procès menés par des citoyens tirés au sort.
Lorsque les légions de l’Empire et ses vassaux parvinrent à repousser les Brumaires, des personnes à l’intérieur d’Ancinium purent les renseigner avec précision sur le gouvernement de la minuscule république autoproclamée. Le Praetor Maximus Dacus prétendit négocier avec le Comité, et parvint à faire entrer dans Ancinium des troupes d’élite, aidées par quelques notables désireux de se venger des « rebelles » épuisés par plus de deux ans de siège. La purge qui s’ensuivit fut aussi rapide que terrible et des centaines de réfugiés et de soldats qui avaient défendu courageusement la cité furent exécutés, parfois par ceux-là même dont ils avaient sauvé la vie. Un neveu du Duc Caseo (qui avait été capturé par les Brumaires lors d’une bataille, puis libéré durant leur retraite) reprit le titre et rassembla les derniers membres de sa famille, tout en signant des brassées de condamnations à mort ou à l’esclavage. Puis, on effaça des chroniques les noms et les évènements les plus gênants et on passa à autre chose.
On parle encore brièvement ici et là dans les vieux contes de « la rébellion », mais les histoires à ce sujet sont délibérément mensongères. Tout au plus, elles évoquent une tentative d’élimination des élites de la ville par des lâches qui espéraient sauver leurs misérables vies en offrant les clefs d’Ancinium aux envahisseurs… il ne reste rien qui évoque les idéaux d’équité et les nombreuses mesures prises par le Comité, qui permirent de soutenir deux ans de siège dans des conditions terribles, alors que les nantis ne songeaient en majorité qu’à sauver leurs peaux.
A l’époque actuelle, on trouve encore des traces de ces évènements dans les journaux intimes de divers participants : des habitants de la cité qui survécurent au siège et à la purge, des officiers des différentes forces armées impliquées, etc. La plupart moisissent dans des greniers mais elles n’ont pas encore été complètement oubliées. Si le public n’y a pas accès, il y a aussi des références assez précises dans les chroniques secrètes de plusieurs maisons patriciennes (dont les Oranius), ainsi que dans certains documents enfermés dans le cabinet privé de l’Empereur.
Les noms des principaux membres du Comité, le chevalier Matteo Vibrini, la tisserande Lucia Alforus, et le centurion Caius Ligenis notamment, ont été à peu près oubliés. Ils sont morts durant le siège, ou trahis par ceux qu’ils avaient protégés. Et personne n’a gardé trace de la magistère anonyme qui fut le véritable déclencheur de cette révolte. Une femme qui avait pu lire de très anciennes histoires ikoniennes, antérieures à l’Hégémonie, et avait découvert les idéaux disparus de la nation insulaire d’origine : Démokratia.
Cependant, depuis le couronnement de l’Empereur Aloysius, les idéaux républicains sont revenus dans les discussions que tiennent certains membres de la faction des Paritaires au Sénat Impérial, et de vieux documents poussiéreux ont été à nouveau consultés. Il est encore trop tôt pour savoir si ces idées antiques pourront renaitre une fois encore, mais il est possible que dans un avenir proche, certains patriciens tentent de les propager discrètement à travers les différentes couches sociales de la société célianne, y compris dans les territoires de la Ligue.