Plusieurs personnes m’ont demandé d’apporter quelques précisions sur la manière dont Jack Vance avait nourri le projet Chiaroscuro.
En ce qui concerne Imperium, la plupart de mes inspirations vanciennes se manifestent par le biais de clins d’œil, d’hommages ponctuels ou d’adaptations et de transpositions discrètes. Parmi les plus significatives, on peut citer ce qui suit :
– Les Célians emploient la locution « Votre Force » lorsqu’ils s’adressent aux patriciens, comme les nobles de la planète Marune, dans le roman Marune : Alastor 933. Ces mêmes nobles refusent de regarder leurs semblables manger et se dissimulent derrière des écrans, comme les habitants de Zenevia.
– Calanctus le philosophe tire son nom de Calanctus l’archimage, qui apparait dans une des histoires de Rhialto le merveilleux. Les patronymes Elaio, Emphyrio, Fiamella et Valdaran, entre autres sont repris d’œuvres de Vance (Emphyrio étant le titre d’un de ses romans).
– plusieurs des mouvements philosophiques et religieux de Chiaroscuro m’ont été inspirés par les sectes, croyances et églises dépeintes au fil de l’oeuvre de Vance. On retrouve donc l’intolérance absurde de nombre de ces croyances, voire leurs dogmes apparemment censés mais qui se révèlent plein de sectarisme illogique dans des mouvements comme les Laudateurs, les adeptes du Dieu Céleste ou les Invertistes.
– les coutumes de Zenevia la cité des masques s’inspirent (légèrement) de la novella Papillon de lune, des croyances des Hommes-emblèmes et des Khors du Cycle de Tschaï ainsi que de plusieurs cultures vanciennes. Ces cultures, normalement extrêmement réservées et formalistes, se maintiennent par des rites/soupapes visant à décharger la violence et les tensions internes de manière cathartique (le Carnevalle du roman La vie éternelle par exemple, ou les exutoires sexuels des nobles de Marune : Alastor 933, entre autres).
– on trouve aussi certaines idiosyncrasies de plusieurs maisons céliannes inspirées de coutumes loufoques ou d’excentricités évoquées dans de nombreux textes vanciens. En fait, bon nombre de cités décrites dans Chiaroscuro sont presque des sous-cultures à part entière. On peut citer notamment la fascination des habitants de Portoverde pour la couleur verte, les traditions architecturales de Gemellus, les traditions musicales de Montplectre, les masques omniprésents à Zenevia, l’isolationnisme des suzerains d’Altamira (autant envers le monde extérieur que leurs propres sujets), les traditions martiales d’Ancinium ou l’isolement de Montelegio. De fait, si Chiaroscuro va s’attacher à dépeindre un monde essentiellement humain, c’est parce que Vance m’a souvent rappelé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir autre chose sous la main pour faire de l’exotisme culturel.
– plusieurs détails concernant l’indenture et ses modalités sont transposés depuis les mésaventures du personnage principal de Cugel l’Astucieux.
– la grande majorité des Célians ont une moralité plutôt souple et élastique, à l’instar d’une très grande majorité des personnages et cultures de Jack Vance. Ils ne sont pas forcément « mauvais » ou même « cyniques » mais on peut difficilement les taxes d’être innocents ou altruistes.
– plusieurs antagonistes possibles ont une identité publique tout à fait respectable alors qu’ils se livrent à des actions pouvant avoir de très sérieuses conséquences à grande échelle et ne sont pas sans rappeler les grands criminels de La geste des Princes Démons. D’ailleurs, deux de ces antagonistes potentiels sont justement des démons…
– Le roi Casmir, dans le Cycle de Lyonesse, a donné beaucoup de son caractère au Voleur de Trônes, celui d’un être qui ne connait qu’une ambition effrénée et s’avère bien pauvre, voire inexistant sur d’autres plans. Lyonesse constitue aussi un bon vivier pour des intrigues de cour, à l’évidence…
– si le Comte de Monte Cristo a joué un rôle non négligeable dans sa création, l’Architecte de la Rétribution puise aussi dans plusieurs personnages emblématiques de l’œuvre de Vance, notamment parmi ses criminels et grands méchants en quête d’une sorte d’idéal intellectuel et/ou esthétique dévoyé. On peut citer entre autres les cinq Princes Démons de la saga éponyme (notamment Howard Alan Treesong) mais aussi l’archimage Tamurello du cycle de Lyonesse par exemple.
– Aloysius D’Ambrosia, empereur de Celalta, est un mélange des caractères, motivations et historiques personnels de l’archimage Murgen (Lyonesse) et de Scharde Clattuc (Cadwal). Plus généralement, il s’inspire d’un certain nombre de personnages dans l’œuvre de Vance qui ont pour point commun d’être à la fois mélancoliques, souvent marqués par la tragédie et dans le même temps résolus à aller de l’avant, généralement pour des intérêts supérieurs très éloignés de leurs propres aspirations personnelles.
– La princesse Leto D’Ambrosia tire sa personnalité de deux princesses précoces de Lyonesse, Suldrun et dans une moindre mesure Madouc. Evidemment, en plus de Jack Vance, elle tient aussi beaucoup d’un certain Leto Atreides, deuxième du nom, de la saga « Dune ».
– les alchiméristes m’ont été inspirés par les travaux de Mazirian le magicien et Turjan de Mir dans Un monde magique (Dying Earth) ainsi que par les espèces artificielles au service des seigneurs de la novella Le dernier château. Nous reparlerons de l’alchimérie dans la suite du projet Chiaroscuro.
– L’ex-impératrice Beatrix D’Ambrosia est une transposition (légèrement remaniée) du personnage de Spanchetta Clattuc, présente dans les romans du cycle Cadwal.
– enfin, le dieu océanique Kuraken, tué par ses adorateurs, est évidemment une adaptation à peine retouchée du roi Kragen, le monstre marin divinisé du roman Un monde d’azur.