Bevelenus (1/3)

Bevelenus

(premier article d’une série de trois, à destination des Meneurs)

Au premier coup d’œil
Traversée par le fleuve Prospero, la cité de Bevelenus est depuis longtemps l’un des centres économiques majeurs des territoires célians, et désormais le principal carrefour commercial entre la Ligue et l’Empire. Depuis la fin de la guerre civile, le conseil de princes marchands qui a pris le pouvoir après la disparition de la maison Seneca a complètement effacé les traces du siège de 981/982 et des combats de rue qui s’ensuivirent.

La rive nord du Prospero a également fait l’objet de chantiers visant à fortifier les deux ponts qui enjambent le fleuve, leurs alentours ainsi que les quais. Des expropriations ont été promptement menées en plusieurs occasions. Il semble évident que les autorités de la cité ont tiré les leçons du siège et redoutent une nouvelle offensive impériale. Dans cette perspective, il apparait chaque jour plus visible que la rive droite de Bevelenus est destinée à être sacrifiée, si jamais les murs de la cité devaient à nouveau être franchis par les légions de Celalta.

Officiellement, les privilèges patriciens ont été abolis et la loi est la même pour tous les citoyens de Bevelenus. Dans la pratique, les esprits les plus vifs ont rapidement constaté que désormais, l’argent ouvrait toutes les portes. Les avantages bien réels que la bourgeoisie tirait auparavant de sa richesse sont devenus de plus en plus visibles. Par ailleurs, la morgue de ces plébéiens aisés et surtout leur jalousie envers la noblesse sont apparues au grand jour : les riches familles plébéiennes se sont accaparées sans vergogne toutes les possessions des patriciens disparus ou partis. Presque tous les domestiques des familles patriciennes ont immédiatement trouvé de nouveaux emplois auprès des familles bourgeoises, dont plus d’une a déménagé pour s’installer dans une demeure patricienne.

Le gouvernement
Les cinq puissants plébéiens qui contrôlent la cité ont baptisé leur conseil « la Main dorée » pour bien rappeler au monde que la prospérité de la cité est leur première préoccupation. Le terme de « main » vise aussi à présenter le conseil sous un jour modeste, comme un simple organe exécutif, mais rares sont ceux qui sont dupes. Le fait d’avoir rebaptisé le palais des Comtes de Bevelenus « Hôtel de Ville » ne fait pas davantage illusion aux yeux des Beveleni. Si la Main s’y réunit chaque semaine, tout le monde a remarqué que les nouveaux maîtres de la cité s’étaient partagés le contenu de la demeure patricienne mais qu’aucun  ne s’y est installé. Sans doute parce que  l’Hôtel de ville aux trois quarts vide se trouve sur la rive droite de la cité et que les rues avoisinantes furent le théâtre d’âpres combats durant l’hiver 982…

In fine, le règne des cinq est encore trop récent et va à l’encontre des traditions céliannes en matière de gouvernement. Si la prospérité croissante de Bevelenus assure à la Main dorée un soutien réel dans les diverses couches de la population, une proportion importante des Beveleni a bien compris que la Main voulait avant tout assurer sa propre survie. Les beaux discours des premiers mois sur une nouvelle gouvernance par des gens issus de la plèbe et soucieux de l’avenir commun ont vite laissé la place à une certaine déception et des rumeurs bien plus inquiétantes. Nombreux sont ceux qui pensent que les cinq maîtres de la cité s’accrocheront à Bevelenus tant que cela sera viable, mais n’hésiteront pas à faire leurs bagages et abandonner la population en cas de conflit armé.

Les forces armées
La majorité des chevaliers inféodés aux Seneca ont péri durant la guerre civile, la plupart durant le siège de Bevelenus. Plusieurs parmi les survivants ont préféré quitter la cité lorsqu’il devint évident que la Main dorée les tiendrait à l’écart du pouvoir et qu’ils cesseraient de bénéficier des privilèges patriciens. La plupart ont rejoint les derniers barons anciennement vassaux des Seneca sur leurs terres. Pourtant, ceux qui sont restés sont parvenus à garder le contrôle des rares soldats de métier qui ont survécu au siège et ont formé la Garde Civile de Bevelenus. La Garde compte aussi dans ses rangs plusieurs renégats de la Légion VIII, précédemment stationnée le long du Prospero. L’état-major de la VIII fut en effet éliminé dés le début de la Guerre Civile par les agents de Zenevia et une part importante de ses effectifs rejoignit la Ligue, aux côtés des traitres de la XXIX. Les légionnaires de la VIII passés au service de la Ligue furent très impliqués dans le siège de Bevelenus, aux côtés des Seneca. La richesse de la cité a permis d’étoffer rapidement ce petit noyau de vétérans, mais la plupart des nouvelles recrues manquent d’expérience, ou sont avant tout motivées par une solde importante. La Garde Civile peine donc à assurer la sécurité des terres autrefois propriété des Seneca et se concentre surtout sur la défense de Bevelenus elle-même.

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La Main dorée
– Alessandro Menini : vieillard retors, jaloux et paranoïaque, Menini est cordialement détesté par tous ceux qui le connaissent. Cependant, il fut longtemps l’homme de confiance des Seneca, chargé de seconder le Comte de Bevelenus dans la gestion de la Banca del Prospero, premier établissement bancaire de la cité marchande. Menini a donc très rapidement pris le contrôle total de la banque et, s’il n’est pas le plus puissant des membres de la Main, il est en bonne passe de le devenir car il a l’œil sur toutes les grandes transactions menées par ses « amis » au sein du conseil. Par ailleurs, le nouveau directeur de la banque a évidemment mis la main sur le contenu de plusieurs coffres dont les propriétaires ont disparu ou péri durant la guerre civile. Aux yeux du reste de la Main comme de la population, le vieil homme est un mal dont tout le monde déplore la nécessité…

– Lauros Menataki : figure de proue de la communauté ikonienne, ce maître verrier d’âge moyen s’est illustré durant les combats de rue et sa popularité (ainsi que son argent) lui ont permis de rejoindre le conseil. En dépit du fait qu’il soit ikonien, Menataki est parmi les membres de la Main l’un des plus appréciés, sans doute parce qu’il est un artisan et que ses manières sont restées celles d’un homme du peuple. Les gens qui se disent bien informés affirment cependant que le maître verrier possède des intérêts importants dans diverses activités criminelles.  Certains voient même en lui un véritable parrain du crime. La communauté ikonienne de Bevelenus ne dit mot à propos de ces rumeurs et fait bloc derrière Menataki. Ceux qui n’ont jamais apprécié les Ikoniens affirment que ces derniers se moquent bien des moyens utilisés par Menataki pour maintenir son pouvoir, car son peuple jouit grâce à lui d’une position et d’une influence rarement observées dans les cités céliannes.

– Elena Nerellus : presque aussi âgée qu’Alessandro Menini, Nerellus est une figure bien moins controversée, alors que son influence est sans rivale. En effet, Elena a su placer ses enfants par le biais de mariages arrangés auprès de plusieurs familles bourgeoises parmi les plus aisées. Elle compte même des alliés au sein des derniers chevaliers de la cité. Ses intérêts financiers sont aussi multiples que diversifiés et s’étendent bien au delà de Bevelenus. Même Menataki a du mal à suivre tous les fils que tire Nerellus. La vieille matriarche est un esprit pondéré et méticuleux, sans doute le meilleur atout dont la Main dispose pour assurer son avenir. Cependant, c’est aussi la moins connue des membres du conseil et elle n’a que peu de partisans au sein des milieux les plus modestes.

– Claudio Teneva : seul survivant de sa famille, Teneva a décidé de renoncer à son statut de chevalier, même s’il a gardé le contrôle des quatre auberges que patronnaient ses parents. Plutôt que de quitter Bevelenus pour devenir le vassal d’un autre noble de la Ligue, il s’est concentré sur l’avenir de la cité où il est né et qu’il a défendu les armes à la main. Le fait qu’il ait abandonné son statut de lui-même pour prendre la tête de la Garde Civile a été utilisé par le reste du conseil pour légiférer afin d’abolir les privilèges patriciens. Teneva préférait les armes aux activités commerciales de sa famille et on le voit avant tout comme un soldat de métier et un fils loyal de Bevelenus. Pour autant, il a rapidement perdu ses (rares) illusions sur la Main dorée et se retient à grand-peine pour ne pas laisser éclater son mépris croissant envers ses pairs. Un jour prochain, il se pourrait que Teneva en arrive à croire nécessaire une reprise en main de la cité… et s’il ne détestait pas autant la politique, l’idée lui serait certainement déjà venue depuis un moment.

 – Patricia Arosti : la cadette de la Main n’a que vingt-cinq ans et occupe sa position depuis une année à peine. Fille ainée du puissant Luca Arosti, affréteur et maître de la guilde des débardeurs de Bevelenus, Patricia s’est retrouvée catapultée au conseil lorsque son père à manqué périr d’une violente attaque cérébrale. Luca est désormais cloué dans son lit et son esprit n’est pas toujours très clair. Patricia s’est avérée être une jeune personne assez calculatrice sous des dehors frivoles et si on lui connait plusieurs aventures, elle ne semble pas pressée de prendre époux. Elle prend plaisir à jouir des avantages de sa position (ses réceptions sont devenues incontournables pour les gens aisés de Bevelenus) mais reste très difficile à déchiffrer. Ses opinions lors des réunions sont souvent changeantes et nul ne sait si elle est inconstante ou s’efforce de gagner en influence en semant la zizanie.

La situation actuelle
Si la normalisation progressive de la situation entre l’Empire et la Ligue ces dix dernières années ont rassuré la population de Bevelenus et relancé les échanges commerciaux, plusieurs sources d’inquiétude demeurent. En premier lieu, évidemment, la situation géographique et stratégique de Bevelenus est la même qu’au début de la guerre civile : elle sera un objectif de choix pour les légions si un nouveau conflit venait à éclater. Or la cité marchande ne peut plus compter sur ses alliés au sein de la Ligue, dont le soutien est des plus tièdes. Le fait que la Main ait profité au maximum de l’infortune de la cité de Laudano ne joue pas en sa faveur et la maison Rufus nourrit une animosité indéniable envers les dirigeants de Bevelenus.

Par ailleurs, les barons auparavant vassaux des Seneca ont tous rompu leurs liens avec Bevelenus. Deux d’entre eux ont formé une alliance pour demeurer autonomes au sein de la Ligue, alors que les deux autres ont respectivement prêté allégeance aux seigneurs de Felonius et Laudano. Si les échanges avec ces voisins méfiants perdurent, ils sont assez peu cordiaux pour dire la vérité. Bevelenus contrôle encore les terres qui appartenaient en propre aux Seneca, mais ce morcellement politique complique énormément les opérations de la Garde Civile. Certains fermiers hésitent encore entre rester dans le giron de la cité ou prêter allégeance à l’un des barons, avec tous les risques que cela implique.

Enfin, les cinq dirigeants de la Main ont du mal à cohabiter. Tout le monde déteste Alessandro Menini.  Menataki soupçonne ses « associés » de faire bloc contre lui parce qu’il est ikonien. Teneva a de plus en plus de mal à cacher sa colère et son mépris, alors qu’Elena Nerellus peine à calmer les tensions permanentes au sein du groupe. Enfin, la jeune Arosti reste quantité inconnue et nul ne sait encore quel jeu elle pourrait jouer dans le dos de ses partenaires.

Si l’Empire ou les « alliés » de Bevelenus ne se dressent pas contre elle, la cité marchande devra quand même compter avec le voisinage, le mécontentement réel d’une partie de sa population et le fait que ses forces armées soient menées par un homme qui supporte de moins en moins les manœuvres et les tergiversations de la Main dorée.

A suivre : La malédiction de Bevelenus

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